L’ARPP n’a pas toujours existé sous sa forme actuelle. Celle-ci est l’aboutissement d’une série de mutations qui trouvent leurs fondements au coeur même de l’évolution de notre société. Petit retour en arrière sur les points marquants de cette histoire mouvementée.
Commençons pas une question préalable : Pensez-vous que le film publicitaire ci-dessous, datant de 1993, a été refusé par les organismes de contrôle de la publicité présents à l’époque pour raison de sexisme ?
La réponse est : NON
L’organisme de contrôle de la publicité qui intervenait à cette époque s’appelait le BVP, le Bureau de Vérification de la Publicité, l’ancêtre de l’actuel ARPP. Il n’était alors constitué que d’un comité représentant les membres des trois professions impliquées dans la production et la diffusion de la publicité (les annonceurs, les agences et les médias). Le BVP avait déjà autorité pour contrôler et donner un avis sur les publicités produites, avis qui était obligatoire et contraignant (grâce essentiellement à la présence du CSA) pour les publicités télévisuelles depuis 1992 mais uniquement consultatif pour les autres médias.
Organisme indépendant de l’état, le BVP avait établi depuis plusieurs décennies des règles déontologiques issues de l’autorégulation entre professionnels sur des sujets tels que l’image de la femme. Cependant, de nombreuses campagnes jugées par certains comme sexistes furent tout de même autorisées ou ne purent être interdite lorsque l’avis du BVP n’était que consultatif.
Dans la société, de nombreuses voix se firent entendre pour demander un renforcement des règles contre le sexisme et la discrimination en raison du sexe, notamment dans la publicité. Le débat n’était pas nouveau. Des lois anti-sexisme avaient été proposées en 1983 et auparavant mais avaient été rejetées et les pouvoirs publics en place semblaient depuis avoir du mal à prendre une posture législative dans ce domaine.
L’autorégulation en question
Les associations de défense de la Femme commencèrent à remettre en cause la capacité de l’autorégulation à résoudre les problèmes qu’elles exposaient. En Juillet 2001, un rapport sur « l’image des femmes dans la publicité » (1) fut remis à Nicole Péry qui était alors Secrétaire d’Etat aux Droits des Femmes et à la formation professionnelle. Ce rapport reconnaissait que « depuis quelques années et avec une fréquence accrue au cours des derniers mois, la publicité a présenté des images de femmes jugées par beaucoup comme humiliantes et dégradantes et comportant de surcroît des risques d’atteinte à la dignité de la personne humaine avec des images incitant à la violence contre les femmes ou à la discrimination en raison du sexe ».
Le débat prit alors de l’ampleur en impliquant notamment les politiques et de nouvelles associations. Des campagnes, comme celle des sous-vêtements Sloggi, diffusée en 2003 et montrant des femmes en string dans des positions jugées érotiques, animèrent le débat public sur le sujet, des personnalités politiques, telle Ségolène Royale, alors députée socialiste des Deux- Sèvres, entrant dans la polémique en dénonçant une « atteinte à l’intimité des femmes et à la protection de l’enfance ».
http://www.ina.fr/video/2411943001048/polemique-autour-de-la-campagne-d-affichage-de-sloggi.fr.html
Cette polémique rejoignit peu à peu des questions portant sur une partie plus large des conflits liés à la consommation qui agitaient la société. Un certain nombre d’associations civiles dénonçaient l’autorégulation prônée par le BVP comme étant un moyen commode qu’avait les publicitaires d’éviter que l’Etat ne mette en place une législation plus contraignante. L’efficacité de l’autoréglementation du BVP et sa capacité à la régulation furent directement mises en cause et finirent par faire l’objet d’études commandées par le gouvernement.
Ces études montrèrent que sur 15000 campagnes étudiées, seules 45 étaient montrées du doigt. Les bilans successifs du BVP montrèrent de plus que, si le phénomène de débordement était réel, l’action que le bureau menait allait dans le bon sens en réduisant d’année en année le nombre de ces écarts.
La prise en compte des avis extérieurs
Reconnaissant néanmoins la nécessité de prendre en compte dans ses recommandations déontologiques destinées aux professionnels la complexification d’une société où les sensibilités évoluaient rapidement et où les valeurs se fragmentaient, le BVP résolut de créer en 2005 le Conseil d’Ethique Publicitaire (CEP), opérant en cela sa première ouverture vers la société civile. Ce conseil fut composé, à parité, de représentants des organes exécutifs du BVP et de personnalités extérieures, choisies pour leur autorité, leurs compétences et leur expérience, et jugées dignes de représenter les différents aspects – moraux, culturels, sociologiques, scientifiques..- de la société. Les objectifs qui lui furent assignés furent les mêmes que ceux qui l’anime aujourd’hui.
Cette mutation que connut le BVP fut importante car elle l’éloignait d’un autoréglementation pure pour l’amener sur le chemin de la co-reglementation, tenant compte de l’évolution de la société à travers la réflexion menées par des spécialistes du sujet. Cette mutation ne fut cependant pas la dernière. Elle fut suivie par une révolution plus importante encore que nous allons aborder dans la suite.
(1) http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/014000536/index….
Avant d’aborder la suite, passons par une question préalable: pensez-vous que les 3 publicités ci- dessous, toutes diffusées avant 2007, aient pu être considérées comme ne respectant pas les lois ou règles déontologiques publicitaires?
La réponse est: OUI.
Les trois publicités présentées avaient cependant reçu un avis favorable de la part du BVP. Mais, chacune d’elles s’était vue remise en cause par L’Alliance pour la Planète, un regroupement français d’ONG, associations et collectifs liés à l’écologie, ainsi que d’associations représentant la société civile.
Leur analyse du contenu de ces affichages dénoncait l’utilisation abusive de l’argument écologique pour vanter comme « bon pour l’environnement » des activités et des produits en réalité polluants ou dont le bilan écologique est négatif. Pour conforter ses arguments, l’Alliance s’appuya sur des recommandations déontologiques liées à l’écologie et mises en place dès 1998 par le BVP lui- même (1).
Ainsi, la publicité de Leroy Merlin serait entrée en contradiction avec l’article 2-7 de ces recommandations disant que « L’annonceur devra indiquer en quoi le produit présente les qualités qu’on lui attribue et éventuellement dans quel contexte », un parc pour bébé placé au milieu d’un champ de fleurs n’ayant pas la possibilité de rendre l’air d’une maison plus sain. De plus, cette publicité aurait contrevenu à l’article 2-1 (2) en laissant penser au consommateur que le magasin vendait des produits écologiquement sains, alors que ce n’était, à cette époque, qu’une activité très marginale.
De son coté, la publicité de France Télécom aurait contrevenu à ces mêmes articles, en entrainant une confusion auprès du consommateur entre effet de serre et couche d’ozone, les économies d’énergie réduisant la production de gaz à effet de serre mais pas de CFC, responsables de la destruction de la couche d’ozone.
L’écologie, nouveau cheval de bataille
Ces exemples illustrent bien le conflit qui existait alors entre annonceurs, publicitaires et le BVP d’une part et les défenseurs de l’action écologique d’autre part. Ceux-ci finirent par publiquement dénoncer, dans un communiqué de presse de l’Alliance datant de Décembre 2006 (3), l’immobilisme dont faisait preuve l’organisme de contrôle publicitaire dans la régulation des publicités utilisant l’argument écologique. L’incapacité du BVP à faire respecter les lois limitant l’usage de l’argument écologique, parfois due au simple fait que les-dites lois étaient impossibles à mettre en place, et ses propres recommandations furent mises en avant. Le Comité d’Ethique Publicitaire (CEP) fut aussi pointé du doigt du fait de l’abscence de tout spécialiste de l’écologie et de l’environnement au sein de ce comité censé aider le BVP à faire ses choix déontologiques.
L’Alliance réclamait la mise en place d’un renforcement radical du système de contrôle de la publicité, en offrant notamment plus de moyens d’expression aux associations civiles qui n’étaient jusqu’alors que consultées.
Parallèlement à ce débat, plusieurs associations, notamment de protection du consommateur, dénoncaient la difficulté, voire l’impossibilité, de demander l’interdiction de certaines publicités contrevenant, selon eux, aux règles de la morale ou de la protection du consommateur. Les recours offerts aux associations et ONG étaient complexes et limités. Mais il faut reconnaitre que le BVP n’avait à sa disposition que de faibles moyens légaux.
Association créée à l’origine en 1935 sous le nom d’OCA (Organisme de Contrôle des Annonces) et devenu le BVP seulement en 1953, elle obtient, en 1968, une légitimité sur le processus de contrôle de la publicité télévisée en obtenant un siège à la commission de visionnage de la Régie Française de Publicité. Son travail et sa volonté didactique auprès des professionnels l’ameneront finalement à être suffisament reconnue pourqu’en 1992, elle recoive la charge de donner un avis avant diffusion de tout film publicitaire télévisé.
Cependant, les pouvoirs de coercition légaux ne suivent pas son implication dans les processus de régulation. Si dans le cadre télévisuel, le CSA peut apporter son soutient au BVP, cela n’est pas le cas pour les autres médias. Les seules sanctions auxquelles pouvait alors prétendre le BVP sont :
- l’exclusion du contrevenant de l’association elle-même, sanction qui n’a qu’une portée limitée
- le recours en justice, difficile à mettre en oeuvre et qui ne correspondait qu’au droit de toute association de défendre son objet social et les intérêts de ses membres, sur le fondement de la violation de la loi (comme par exemple celle sur la publicité mensongère).
(1) http://www.lalliance.fr/xmedia/atelier_BVP/docs/BVP_arg_ecolo.pdf
(2) « La publicité doit proscrire toute déclaration de nature à tromper directement ou indirectement le consommateur sur la réalité des avantages ou propriétés écologiques des produits ainsi que sur la réalité des actions que l’annonceur conduit en faveur de l’environnement. »
(3) L’Alliance pour la Planète fait campagne : « la publicité peut nuire gravement à l’environnement » http://www.lalliance.fr/xmedia/atelier_BVP/docs/CP2006_BVP_04_12.pdf
Avant d’apporter un éclairage sur les évènements qui ont suivit, une question préliminaire: Percevez-vous la différence entre les campagnes de communication du BVP suivante ?
Campagne 1982:
http://www.ina.fr/pub/divers/video/PUB3249920001/bvp-drimo.fr.html
Campagne 2005 & campagne 2007:
On peut remarquer le changement de ton après 2007 qui devient beaucoup plus serieux. L’ironie est oubliée. Le message est aussi beaucoup plus spécifique et plus orienté vers la morale. Comme on le verra dans la suite, cette campagne couvrait aussi deux autres sujets: la violence et le sexe. Voci quelques éléments d’éclairage sur les évènements de l’année 2007, charnière pour le BVP.
L’ouverture à la société civile
En mai 2007, Alain Juppé, alors ministre de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durables, annonça la mise en place du Grenelle Environnement. Cette grande consultation fut le tremplin idéal qui permis aux associations de porter sur le devant de la scène leurs réclamations au sujet de la réglementation de la publicité. Soutenu par le pouvoir central, le grenelle va entrainer la profonde remise en question des structures du BVP et la prise en considération des aspirations de la société civile.
Désireux de montrer sa volonté d’évoluer avec la société et de garder un maximum d’indépendance, le BVP va revoir ses statuts pour finalement créer, en 2008, l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP), choisissant en cela un nom aux termes plus évocateur d’une véritable autorité régulatrice.
De plus, afin de prendre en compte les avis des associations, le Conseil Paritaire de la Publicité, instance composée pour moitié de professionnels et pour moitié d’associations civiles, fut crée. Et pour permettre le recours auprès d’une instance plus à même de juger de l’opportunité de sanctions auprès d’un contrevenant aux règles déontologiques, le Jury de Déontologie Publicitaire fut mis en place.
Cette mutation en profondeur repondant aux aspirations de la société civile offre la possibilité à l’ARPP de garder son indépendance tout en prenant en compte les diverses sensibilités de notre société.
Ecoutons ce que Dominique Wolton, président du CEP et spécialiste mondialement reconnu de la communication a à dire au sujet de la transformation du BVP en ARPP et sur les causes qui l’ont amenée:
Conclusions
Les bilans publiés par l’ARPP montrent que le nouvel organisme obtient de bon résultats. Ses capacités légales de coercition n’ont pas été améliorée mais sa visibilité et son exposition à la société civile ont amené à un plus grand respect de ses décisions par les professionnels. Il existe cependant toujours des contrevenants qui continuent à faire la sourde oreille aux injonctions qui leur sont adressées, tel Dolce & Gabbana dont les campagne d’affichage dérogeant aux règles déontologiques de l’image de la personne (par leur cotés « porno-chic » et soumissions) sont systématiquement dénoncées par l’ARPP.
Au final, l’OCA devenu BVP puis ARPP a connu de grands changements qui ont été induits par les mutations de notre société et de ses valeurs. Si l’on tient à mieux percevoir cette évolution, il suffit de comparer les campagnes de communications du BVP à trois dates clé de son évolution, comme nous vous l’avons montré auparavent. Pour être plus explicite, voici d’autres spots de ces campagnes qui montrent l’évolution du contrôle de la publicité de la légalité vers la morale, sujet de la prochaine partie.
Pour les campagnes de 1982, de 2005 et de 2007 voir les vidéos présentent sur cette page : http://www.arpp-pub.org/Campagnes-de-communication.html