A la lumière des investigations menées, et des éléments de réponses que nous avons trouvés lors de nos recherches, un élément nous a frappé. Pourquoi certains supports s’autorisent plus de liberté que d’autres ? La réglementation publicitaire télévisuelle condamnent t-elle la créativité à s’arrêter aux portes du politiquement correct ?
La « femme objet » ?
Le cas de Dolce & Gabbana
La publicité pour la collection printemps/été 2007 de prêt-à-porter Dolce & Gabbana a fait l’objet d’une vive controverse. L’image en cause est celle d’une jeune femme plaquée au sol, tenue par les poignets par un homme torse nu, et entourée d’autres hommes qui la regardent.
Fin février, elle avait été retirée en Espagne, après avoir été accusée de « violence machiste » par l’Institut espagnol de la femme .Le CSA italien avait réagi : « Si l’image ne porte pas de références implicites à la violence physique, elle évoque, en raison de la position passive et désarmée de la femme face aux hommes qui l’entourent, la représentation d’un abus ou l’idée d’une violence à son encontre ». Voici une publicité qui marque et qui a soulevé un grand nombre de contestations.
Pourquoi cette publicité a-t-elle indigné le monde entier ? La réponse pourrait résider par la nature même de l’affichage. Par son lieu même de diffusion, l’affichage fait irruption dans nos vies quotidiennes sans avoir demandé une autorisation préalable alors que la publicité télévisuelle s’inclue dans un média que nous choisissons. A la télévision, nous savons que nous allons être exposés à de la publicité, alors que l’affichage par sa nature s’impose à nous et nous dérange. Cependant, n’est ce pas ce que les publicitaires recherchent ? Nous interpeller ?
Pourtant, Les principes clés de la Recommandation Image de la personne humaine de l’ARPP semblent clairs :
- Ne pas porter atteinte à la dignité de la personne,
- Ne pas porter atteinte à la décence,
- Ne pas réduire la personne humaine à la fonction d’objet,
- Ne pas présenter ou induire de stéréotypes dénigrants,
- Ne pas induire une idée de soumission (et, a contrario, de domination) ou de dépendance (et, a contrario, d’exploitation) dévalorisant la personne
- Ne pas présenter de violence, qu’elle soit morale ou physique
Le problème de ces principes clés ne résiderait-il pas justement dans l’interprétation que chacun peut en faire ?. Aux attaques sexistes les créateurs de Dolce & Gabbana ont répondu avoir « cherché à recréer un jeu de séduction dans la campagne publicitaire et à mettre en valeur la beauté de leurs collections. » Ils ont finalement annoncé qu’ils retiraient dans le monde entier leur publicité. Néanmoins, mêmes marginaux, les manquements marquent durablement les esprits.
Les campagnes d’affichage développées par Dolce & Gabbana, ont une volonté affichée de choquer, de déranger les codes de bienséance. Il est intéressant de les opposer à leurs campagnes télévisuelles. Reprenant les codes « sexy », glamours et sensuels véhiculés par la marque de mode, les campagnes télévisuelles, contre toutes attentes sont bien moins choquantes. En utilisant de grandes stars du cinéma, ces campagnes télévisuelles sont en total opposition avec leurs campagnes d’affichage. Elles s’adressent à un autre public.
Voici quelques unes de leurs publicités télévisuelles :
Nous avons mené notre propre enquête, en interrogeant un échantillon de 30 personnes de moins de 30 ans sur Facebook.
A la question « trouvez-vous cette publicité choquante » le sentiment général tend à s’accorder.
La jeune génération, habituée aux images « sexy », à la nudité et à la provocation ne semble pas choquée par ce genre de publicité, confirmant ainsi le sondage IPSOS de 2005. « Elle est seulement comme toutes les pubs de parfums et de hautes coutures, c’est d’ailleurs pour ça que je les vois mais que je ne les regarde pas » déclare l’un d’entre eux. Un autre affirme que « la position de la fille n’évoque en aucun cas une soumission, mais plutôt un désir bestial et parfaitement consentant. Les connotations sexuelles sont ce qui marche le mieux en publicité, l’échangiste et compagnie sont dans l’air du temps ( du temps médiatique en tous cas ), alors pour moi cette pub a tout bon, ne sombre ni dans le glauque ni dans le vulgaire, tout en connotant des jeux de « grandes personnes » ». Une autre déclare « Elle n’ est pas choquante, c’est un tableau de la Renaissance remarsterisé à notre société de consommation et de sexe ! On se doute que D et G sont homosexuels car ils ont une vision de la femme très pauvre et une vision du sexe très libérée ».
Enfin une dernière déclare : « …Le second point de vu pourrait être celui de la femme indépendante et sure d’elle qui assouvit ses propres fantasmes. Assez chaud donc, mais qui ne me choque pas personnellement ».
Habituée à cohabiter avec les images, la jeune génération semble plus apte à décrypter la volonté d’utiliser des codes « sexuels » des publicitaires. Blasés par tant de nudité, habitués à la violence ou aux comportements « déviants », les jeunes, évoluant dans une société hyper sexuée ne semble plus emprunter le chemin de la contestation mais celui de l’indifférence.
Interroger 30 personnes n’est certes, pas suffisant pour dégager une tendance globale, ou déclarer une vérité dans laquelle tout le monde se reconnaîtrait, mais elle aide à dessiner les contours d’un nouveau mode de pensée. Pour coller avec cette génération qui n’est plus choquée de rien, et qui ne semble même plus regarder les images, les publicitaires ne s’adapteraient-ils juste pas ? « toujours plus fort »
Le but de cette réflexion n’est pas d’excuser les publicitaires ou de légitimer leurs actions parfois immorales. Il est de tenter de comprendre la mutation des mentalités qui influent par ricochet, sur la création publicitaire.