Le cas de la France
1° Interview
Trois questions à Catherine Demay, directrice clientèle de Publicis :
Pourquoi la publicité comparative est-elle si peut utilisée en France alors qu’aux États Unis et en Angleterre elle est monnaie courante ?
« Je pense que c’est avant tout un problème de culture. Le regard de l’autre est un aspect beaucoup plus important dans les pays Anglo-saxons qu’en France, nos manières de communiquer sont totalement différentes. Cette attention aux regards extérieurs n’existe pas en France. Les marques tiennent à ce que l’on parle d’elles et pas de leurs concurrents dans leurs publicités. S’il y a comparaison avec une autre marque la réclame est divisée en deux, ce qui laisse moins de temps pour présenter la marque commanditaire de la publicité. C’est donc afin d’optimiser au maximum leur espace d’expression que les marques françaises utilisent peu les méthodes de publicité comparative. «
Se comparer à un produit X, est ce vraiment de la publicité comparative ?
« Oui bien sur, le produit concurrent n’est pas explicitement cité mais si l’on regarde bien on comprend de suite de quoi il s’agit. Par exemple les marques de lessive : celles-ci prouvent leur efficacité par des démonstrations. D’un coté la marque en question et de l’autre la marque X censé être anonyme mais qui en réalité reprend l’emballage du concurrent visé. »
La publicité comparative est-elle efficace auprès des consommateurs ?
« D’après moi faire la comparaison avec un produit concurrent n’est pas un argument de vente mais d’achat. Les consommateurs ne se confortent pas à la comparaison faite par l’annonceur, ils se font leur propre opinion d’un produit. Ces arguments de comparaison qui sont avant tout des techniques marketings ne sont pas toujours bien accueillis par le public. »
2° La publicité comparative implicite
En France on privilégie la publicité comparative implicite. Question éthique et morale mais également question de loi. Parce qu’elle est très encadrée la publicité comparative en France est très difficile à appliquer, c’est pour cela que les marques préfèrent se comparer à leurs concurrents de manière beaucoup plus discrète mais parfois très éloquente.
Tout d’abord qu’appelons nous « publicité comparative implicite » : c’est une comparaison qui respecte les règles éthique. La publicité comparative implicite est faite de sous entendus et d’indirect. Elle ne cite jamais le nom de ses concurrents mais elle fait tout de même comprendre de manière élégante et déguise au consommateur sa comparaison.
Nous allons pour cela prendre un exemple de publicité comparative implicite. Comment «l’Or, espresso» produit de Maison du Café tente de se mettre en avant face à son concurrent « Nespresso ».
3° Etude de cas : « L’Or espresso » vs « Nespresso »
Tout d’abord il est bon de connaitre les arguments de vente de Nespresso afin d analyser l’affront de son concurrent.
Chez Nespresso consommer le café est un art. La marque met l’accent sur la qualité exceptionnel de ses produits, café et machines à café. Nespresso apparait comme une marque luxueuse qui reste néanmoins accessible à un large public.
La technique de communication/commercialisation Nespresso donne le sentiment au consommateur de faire partie d’un groupe de privilégié. Site internet et boutiques sont pensés pour que le client ait le sentiment d’intégrer un certain groupe social. Par l’achat d’une machine à café Nespresso le consommateur a accès à un produit de qualité professionnel à domicile. Nespresso vend des produits chers, hauts de gamme, la marque instaure donc un nouveau seuil de prix qu’elle parvient a faire accepter aux consommateurs grâce à la valeur ajoutée revendiquée de la consommation du café Nespresso. « Nespresso what else ? ».
Nespresso est resté pendant longtemps sur le marché sans avoir de concurrent direct, puisqu’elle était le seul a fournir des capsules adaptée a ses machines.
En 2010 une autre marque de café fait son apparition sur le marché de la vente de capsules adaptées aux machines Nespresso , l’Or espresso . Les capsules proposées par ce concurrent sont moins chères et vendues en grandes surfaces. Des arguments de vente non négligeables et que le marque n’hésite pas à mettre en avant dans son spot publicitaire qui est l’exemple même d’une publicité comparative implicite.
Spot publicitaire de l’Or espresso :
Vous rêvez d’avoir le choix …. D’une expérience inédite avec votre machine espresso à capsule… imaginez une capsule transparente, unique révélant un café pur, 100% arabica. Vous ne rêvez pas, cette capsule existe c’est l’Or espresso, goutez à la différence !
L’or, sans doute le meilleur café de monde. Disponible en supermarché.
L’Or espresso en clonant les capsules Nespresso profite de la notoriété de son concurrent et se revendique clairement comme étant de meilleure qualité. La publicité parle d’elle-même ! Mais sans citer directement le nom de la marque concurrente. Néanmoins l’évidence tape a l’œil étant donné que seules ces 2 marques proposent des capsules de café adaptées aux cafetières Nespresso. Un argument qui est particulièrement mis en avant : disponible en supermarché, et donc accessible à un plus grand nombre de personne, ouvert à un public beaucoup plus varié !
L’or propose un produit identique à celui de Nespresso tout en se revendiquant « probablement l’un des meilleurs café du monde ! ».
D’autres mots forts viennent confirmer notre théorie « vous avez le choix », « gouttez à la différence ». L’Or espresso opte ici pour une manière out a fait élégante de faire de la publicité comparative. Alors simple respect des valeurs éthiques et morales ou optimisation du temps d’audience, la question peut évidemment se poser.
Dans les autres pays
1° En Europe
Avant 2006, il existait de grandes disparités entre les législations des différents États membres en matière de publicité trompeuse et comparative. Étant donné que la publicité dépasse les frontières, surtout avec les moyens de télécommunication actuels, et qu’elle a une influence directe sur le bon fonctionnement du marché intérieur, il était nécessaire d’harmoniser au niveau européen sa réglementation.
L’adoption d’une directive est l’instrument approprié, car une directive établit des principes généraux uniformes, mais laisse aux États membres le soin de choisir la forme et les moyens appropriés pour atteindre ces objectifs ; elle est conforme au principe de subsidiarité. L’Europe a donc décidé d’une directive en 2006 (la directive 2006/114/CE) qui est entrée en vigueur le 12 décembre 2007.
Cette directive a pour objectif de protéger les professionnels contre ces formes de publicités et leurs conséquences déloyales, et d’établir dans quelles conditions la publicité comparative est considérée comme licite.
Celle-ci définit comme publicité trompeuse « toute publicité qui, d’une manière quelconque, y compris sa présentation, induit en erreur ou est susceptible d’induire en erreur les personnes auxquelles elle s’adresse ou qu’elle touche et qui, en raison de son caractère trompeur, est susceptible d’affecter leur comportement économique ou qui, pour ces raisons, porte préjudice ou est susceptible de porter préjudice à un concurrent ».
Quant à la publicité comparative, il s’agit de « toute publicité qui, explicitement ou implicitement, identifie un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent ».
Depuis l’entrée en vigueur de cette directive, les États membres de l’UE ont dû se doter de moyens adéquats et efficaces pour lutter contre la publicité trompeuse et faire respecter les dispositions en matière de publicité comparative. Ces moyens doivent inclure des dispositions juridiques permettant aux intéressés d’intenter une action en justice ou de porter une publicité devant une autorité administrative.
A cet effet, la France a mis en place l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité – ARPP.
Bien que la publicité comparative soit autorisée, elle reste très peu utilisée en Europe. Plus qu’un manque de créativité, il s’agirait plutôt du souci de ne pas heurter les consommateurs. En effet on constate que les publicitaires n’osent pas faire de comparaison avec les concurrents de peur que la publicité ait l’effet inverse, c’est-à-dire qu’une comparaison agressive aurait pour effet de « se faire mal voir » par le consommateur ; être agressive envers un concurrent ne revient pas à se mettre en avant. Eric Delannoy, directeur de l’agence Talents Only, a même déclaré en 2009 « Aujourd’hui, lancer une publicité comparative en France, c’est jouer à la roulette russe. » De plus, les différences culturelles qui existent entre les États membres de l’UE sont telles qu’il est difficile de transposer ce genre de publicité d’un pays à l’autre.
2° Autres continents
La situation aux États Unis est tout autre. C’est là que la publicité comparative est née, il y a plus de 40 ans, fondée sur le principe de la liberté économique ultralibérale. Le américains sont aujourd’hui plus que jamais friands de ce genre de spot.
Aux États Unis on se préoccupe moins de la sensibilité de chacun et on s’occupe de faire vendre. Jean-Marie Dru, publicitaire français actuellement basé à New York, a observé que « les créatifs européens cherchent des idées, et quand elles sont stratégiques et astucieuses, il se trouve qu’elles font vendre. Leurs homologues américains sont plus directs. Ils cherchent ce qui va faire vendre ».
La publicité américaine n’est pas limitative et pratiquement tous les corps de métiers sont autorisés à en faire. Il est courant de voir des hôpitaux, des médecins, et même des politiciens passer des annonces diverses.
Par exemple, il y a deux ans, Michael McIntee (parti démocrate américain) avait fait circuler cette publicité pour appeler à voter pour Chris Carney à la place de Don Sherwood.
La publicité comparative aux États Unis est donc bien ancrée dans les mœurs, appréciée et même demandée par les consommateurs. Le succès de la série des publicités Mac/PC en est la preuve.
La publicité et aussi libre au Canada et en Australie qu’aux Etats Unis. La Polynésie française s’interroge encore sur ce point. Lors de la séance du 5 juillet 2010, Maina Sage, secrétaire générale adjointe du Rautahi (parti politique polynésien) et membre de l’Assemblée de la Polynésie Française depuis 2008, a déclaré que la publicité comparative bien encadrée et contrôlée serait un outil de communication de plus, mais elle doute de son efficacité dans l’amélioration de l’information objective du client.
Un point plus important à ses yeux est celui du droit de réponse : « si demain, une publicité comparative est contestée, à tout moment le concurrent pourra demander un droit de réponse gratuit sur le support diffuseur et pourra engager des poursuites même envers le support ! Autant vous dire, que cet aspect ne manquera pas d’avoir un effet dissuasif sur les médias ». Maina Sage a conclu son discours en confirmant sa position : « sous réserve de l’exclusion du droit de réponse, je dirais oui à la publicité comparative ! Mais franchement, si l’on souhaite véritablement lutter contre la vie chère, ne nous leurrons pas, c’est bien l’information comparative neutre et objective des services publics et associatifs, accompagnés d’une politique d’ouverture à la concurrence, qui permettront de véritablement lutter contre la vie chère ».
La Polynésie française n’a à ce jour pas encore pris sa décision sur la question de la publicité comparative.
Comment la réglementation est détournée : la comparaison avec un produit « X »
Définition
Par définition, la publicité comparative met en relation une marque ou un produit face à un concurrent. En ce sens, une publicité établissant un quelconque lien avec un produit « X » n’est pas une « publicité comparative » au sens juridique du terme, puisque le concurrent en temps que tel est indéterminé. Ceci étant, ce genre de spot transmet un message de comparaison avec un marché existant, c’est pourquoi nous avons choisi de l’aborder.
Quelques exemples
Les publicités de ce genre les plus récurrentes concernent les produits ménagers (comme la lessive Woolite Mix Textiles par exemple), les produits d’hygiènes (avec les couches pour bébés Pampers) et les produits alimentaires (avec les yaourts Perle de lait).
Avantages : une sécurité pour la marque
Dans la mesure où il s’agit d’une comparaison avec le marché, il ne peut y avoir ni de dénigrement ni de diffamation envers un concurrent en particulier. C’est pourquoi ce choix publicitaire offre une meilleure protection judiciaire à l’annonceur en cas de procès. Personne n’étant directement attaqué, ce genre de spot est moins agressif. Les réponses des concurrents sont moins virulentes et le public français se sent moins au centre d’une guerre entre les marques. Par ce moyen, l’annonceur préserve son image et une meilleure réputation. Plus digne, il ne se fait pas passer pour celui à l’origine d’un conflit public qui changerait les mœurs de la publicité française.
Par ailleurs, c’est aussi l’occasion de rester concentré sur sa marque. Seul son propre logo apparait à l’écran. Il n’y a alors aucun risque de confusion entre annonceurs.
Enfin, on constate également que ce genre de publicité développe davantage la comparaison sur des critères de qualité. Par exemple : « Plus qu’une lessive ordinaire, Woolite Mix Textiles nettoie et protège efficacement vos vêtements… », des couleurs préservés, pas de bouloches, …etc. Un discours qui finalement ne signifie rien puisque la lessive X n’existe pas sur le marché. On entend bien qu’il s’agit de lessive ordinaire, mais d’aucune en particulier. L’annonceur se protège au travers son message, prétendant être meilleure que ses concurrents sans dire de qui.
Risque selon la Federal Trade Commision : « induire en erreur le consommateur »
La Federal Trade Commission est une commission américaine qui a toujours défendu la publicité comparative audiovisuelle, et ce depuis les débuts dans années 70 aux Etats Unis. Toutefois, elle n’est pas pour autant favorable aux publicités qui comparent un produit à un produit ordinaire, son danger étant de créer la confusion, « l’assimilation abusive de la marque X à une marque déterminée ».
Plus encore, ajoutons que ces publicités désinforment puisqu’elles se vantent à tout va de qualités qu’elles se sont accordées. Pour preuve, elles diffusent leur propre témoignage. Quels produits sont réellement comparés ? Et puis, qui a-t-il de plus ordinaire qu’un baril de lessive ? Bref, rien que du vent !